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valere bertrand

POUR LUI LES COULEURS SONT COMME FRAGMENTS DE VIE, SANS RAPPORT DIRECT AVEC LA RÉALITÉ, POUR MIEUX LA SUGGÉRER ; COMME SI LA PEINTURE NE POUVAIT TÉMOIGNER QUE DE SON RÊVE DE VOULOIR SE FONDRE À JAMAIS DANS L'ESPACE. ON PENSE À L'EAU, À LA NAISSANCE, AU MONDE QUI SORT DE SON ÉCORCE, AVEC LA FERME INTENTION QUE ÇA S'ENVOLE À NOUVEAU DE MANIÈRE INATTENDUE ….

 ( EXTRAITS )





CHRISTINE GUILLEMY

D'EMBLÉE, LES REGARDS SONT CAPTIVÉS PAR LE JAILLISSEMENT DES COULEURS VIVES ET DES FORMES ONDOYANTES ET SUPERPOSÉES. LA PLUPART DU TEMPS DES PERSONNAGES ÉNIGMATIQUES,PARFOIS ACCOMPAGNÉS D'ANIMAUX, ENTRENT EN SCÈNE ET ÉVOQUENT DES RÉCITS OÙ DES AVENTURES IMAGINAIRES. UNE DYNAMIQUE DU MOUVEMENT NOUS EMPORTE ALORS AVEC JUBILATION DANS SA PEINTURE.DÉCOUVRONS À L'INFINI L'UNIVERS BAROQUE ET POÉTIQUE DE JEAN ROUGÉ.

 ( EXTRAITS)


"sur champ diapre"

Valère BERTRAND

Sur un des bords de la toile, le muscle saillant, un homme s’élance vers une femme qui se tient en attente. Emporté par son élan, l’homme tourne pourtant la tête, l’œil attiré par une colonne tourbillonnante qui se dresse devant lui. Mélange impressionnant de soleils et de nuages qui se ruent dans le ciel. Pendant que sur le versant opposé, dans le dos du personnage féminin, sur un fond d’incendie, une force encore plus impressionnante semble tranquillement patienter que l’homme vienne se prendre dans les mailles du filet qu’elle lance à sa rencontre. Décrivant des cercles, à la manière d’un disque ou d’un lasso, qui bientôt devraient le coiffer.

Nos deux personnages sont debout, vêtus d’un collant qui les moule. On pourrait être au ballet.L’élégance des gestes, le décor dans le fond, renforcent cette sensation d’une occasion rêvée. Recouvert de nuages, l’homme ressemble à un faune ailé qui va de l’avant. Pas encore tout à fait construit, alors que sa partenaire, semble-t-il plus avisée,se contente d’une révérence ou d’un entrechat. Chacun dans son rôle, ce sont des êtres de lumière. Dans une sorte de flottement abstrait que vient soutenir l’impression d’un mouvement contradictoire qui sert de base à la construction du tableau. Une opposition voulue qui claque dans l’œil de celui qui regarde, et qui donne le tempo.

A l’image de ces coureurs que l’on croise, tels des étoiles filantes, annoncés par leur chien dans la douceur du matin et qui s’arrêtent soudain, comme frappés de stupeur, devant la merveille des premières lueurs du jour. Une sorte de choc qui les stoppe net, tout surpris d’assister à la naissance du monde. Un étonnement, quelques impressions fugaces,dont il s’agit si l’on est peintre, de retrouver la magie quelques heures plus tard dans le chaos des couleurs.

A sa manière, chaque artiste, vise à nous faire partager sa propre vision de l’amour. La beauté, l’envolée, les champs de blé, le désir, l’étonnement du corps, voilà ce qu’a toujours peint Jean Rougé. Un tourbillon cosmique sur un paysage de mondes en fusion.

L’homme, la femme. Un poisson ébahi de les trouver si beaux. Des soleils qui s’ébrouent,frémissant de plaisir. Un nuage qui joue les bouquets de fleurs et qui part en flammèche. Rythmes gazeux , enclenchements girations. La courbe d’un mollet qui attire le regard mais qui témoigne également du bonheur de se savoir en vie. Une goutte de rosée. La sensualité du vivant. Le corps, merveilleuse machine. A l’image d’une source vive, Jean Rougé aime ce qui coule sans heurts.

Pour lui, les couleurs ne peuvent se marier que dans la douceur. De fait, ses passages se font sans à coups, tranquillement par petites interventions de pinceaux très fins, comme des fragments de vie. Sans rapport direct avec la réalité, pour mieux la suggérer.

Comme si la peinture ne pouvait témoigner que de son rêve de vouloir se fondre à jamais dans l’espace. On pense à l’eau, à la naissance au monde qui sort de son écorce.

Tout cela, en s’appuyant sur de nombreux carnets ou Jean Rougé multiplie les essais afin de fixer ses masses qu’il reporte ensuite sur la toile. Avec la ferme intention que ça s’envole à nouveau d’une manière inattendue.Sa méthode est de découvrir en avançant, par tâtonnements. Jouant de chaque accident pour pincer l’espace, amener des complexités par le jeu des transparences, des confusions, qui offrent de nouvelles pistes dans lesquelles l’œil va pouvoir s’engouffrer,se multiplier, respirer, rebondir. Il y a l’idée de s’ébattre,de creuser, d’inventer, de s’étonner. On ne peut être que modeste quand on fait de la peinture. On propose. A celui qui regarde de bien vouloir disposer. Au détour d’un de ses carnets, au verso d’une page, cette citation d’Abel Gance notée voici quelques années et dont on retrouve l’esprit dans chacun de ses tableaux : quitte toi, sors de toi, toujours et complètement, pour être autour de tout, partout, sur tout, au cœur de tout à la même seconde.