TEXTE PAR YVES KOBRY
"Un peintre dont la thématique est sarcastique, sulfureuse, suscite deux types de réactions opposées.
L'une, la plus courante, de rejet, chez ceux qui assignent à l'art une fonction purement hédoniste et apaisante, l'autre de "récupération", chez ceux qui cherchent à enrôler l'artiste sous leur drapeau et qui ont tendance à réduire le peintre au rôle d'illustrateur d'un combat politique ou social.
Le plus souvent les deux parties commettent la même erreur elles négligent ou sous-estiment la recherche formelle, l'attrait pour l'insolite, le sens de l'imaginaire, sans même parler de la malice et du goût de la provocation qui sommeillent chez presque chaque artiste. Hermle, le pince-sans-rire est de ceux là.
Qui connaît cet artiste méthodique et ordonné, qui a longtemps travaillé comme graphiste pour la publicité et aujourd'hui enseigne à des élèves les techniques de la peinture, a peine à croire qu'un esprit aussi rigoureux puisse engendrer de telles chimères, faire grimacer ainsi des grotesques.
Pourtant on devrait se méfier. On sait depuis Paul Klee que les artistes d'apparence la plus familière sont les plus facétieux, on sait depuis Goya que les artistes les mieux intégrés dans la société en sont les observateurs les plus impitoyables, les critiques les plus féroces.
Certains ont voulu voir dans l'iconographie du peintre l'empreinte d'une enfance berlinoise dans l'Allemagne hitlérienne. L'explication est trop convenue. L'intéressé lui-même s'en défend. Il était trop jeune pour avoir conscience des horreurs du nazisme, même si les bombardements ont frappé son imagination et les difficultés matérielles forgé son caractère
Plutôt qu'à un traumatisme existentiel, c'est à une tradition picturale qu'il faut se référer pour saisir l'étrangeté de sa peinture. Elle porte la marque de l'expressionnisme allemand et surtout de la "Nouvelle Objectivité", ce constat distant, grinçant, ironique des travers et des tares d'une société qui sont des mouvements artistiques si étrangers à la sensibilité française.
Hermle arrivé jeune homme en France, en 1961, a parfaitement assimilé les habitudes et l'esthétique du pays d'accueil, toutefois il a gardé au plus profond de lui-même le souvenir de sa culture d'origine qui refait surface avec force chez le peintre d'âge mûr. La construction très charpentée de ses tableaux, la mise en place rigoureuse du motif, une certaine lourdeur des formes, font souvent penser à Beckmann.
Hermle compose ses tableaux comme un scénographe. D'abord il plante son décor : simple, dépouillé, étagé sur un ou deux plans, guère davantage (une plage, une piscine une table), puis il dispose ses personnages, enfin il les anime : leur donne visage, expression.
Il part d'une vision, d'une conception d'ensemble, pour arriver au particulier sans s'attacher au détail, en gardant toujours à l'esprit la totalité de la scène, ce qui confère une grande cohérence à ses saynètes.
Des personnages ? Non, une pantomime plutôt, un carnaval de masques (on pense à Ensor, la profusion et l'application en moins). Ici une trogne d'ivrogne rubiconde et béate, là un vieillard édenté figé dans un rictus mauvais, plus loin une matrone aux chairs molles. Ventres rebondis, seins flageolants, regards ahuris, hébétés où s'affiche une satisfaction niaise.
Face à cette humanité déformée, estropiée par le confort, l'égoïsme, l'ennui, face à ces êtres qui ne se parlent ni ne se regardent, l'inhumanité : le viol, la torture,, le meurtre, la faim, auxquels se mêlent des mutants, des êtres hybrides, venus d'on ne sait quelle planète. La trivialité, l'horreur, le fantastique, se côtoient sans communiquer, se voient sans se regarder. Pas de lyrisme, pas de pathos : l'horreur est aussi banale que la vulgarité, elles ont pour dénominateur commun l'indifférence.
Hermle conçoit d'abord ses saynètes sur des toiles de petit format avant de les développer et de les décliner à plus grande échelle. J'ai bien dit développer et non rapporter, car de chacun de ses tableaux se dégagent une truculence, une vivacité, une violence aussi, qui expriment la spontanéité de l'inspiration, la liberté de la touche.
La magie qui émane de ses tableaux provient d'un subtil et savant équilibre entre d'une part, l'artifice de la construction, la stylisation des personnages, d'autre part, la précision d'une posture ou d'un geste, le réalisme d'une expression.
On se trouve ici face à ce jeu du proche et du lointain qui caractérise toute la peinture de Hermle. A la manière des contes cruels de Grimm ou des histoires extraordinaires de Swift ses tableaux sont une critique féroce de l'époque et de la société en même temps qu'ils sont intemporels car déréalisés : le quotidien se mêle au fantastique et le trivial revêt le masque de l'outrance et du grotesque."