Elles n’osent pas encore sourire dans la crainte qu’une maladresse ne les fasse replonger dans les limbes. Elles s’agglutinent comme se regroupe le troupeau sous la menace d’un prédateur. Un rien les effarouche.
Véronique le sait et, pour montrer sa douceur et sa révérence, elle les dessine à genoux, d’une main très légère pour effacer la pellicule d’oubli qui les dissimulait.
Quand elles reviennent au monde, elles se trouvent bien démunies, un peu nues. Il leur faut un costume, des tissus, des couleurs, les réinventer avec prudence car, d’avoir séjourné longtemps dans les gris et les bleus, les lancer dans des flamboiements espagnols pourrait les effrayer.
Elles se prêtent au jeu de Véronique qui les rend à leur éclat solaire, qui leur brode des robes d’infante, les invite à des rencontres, à des voyages, à des afflictions, à des réminiscences.
Elles prennent la pose où la peinture les contraint. La lumière enfin les révèle avant qu’elles ne disparaissent à nouveau dans les cycles où s’aventurent les planètes.
Les âmes que vous représentez, errantes comme toutes les âmes, m’évoquent celles que les Romains appelaient les Mânes.
Ils disaient les Mânes pour ne pas prononcer le nom de lémures, qui étaient les esprits des morts.
Car ils auraient pu se réveiller et venir vous hanter.
Les lieux que fréquentent ces esprits, qui se souviennent de leur forme humaine qui les a précédés, errent dans d’étranges nébulosités.
Vous savez bien les peindre. Il faut la main légère, un rien les effarouche.
Flotte sur ces cohortes une attente infinie, celle où les maintient le christianisme dans son purgatoire.
Pour leur rendre visite il faut une autorisation. Vous avez eu ce privilège et vous en rendez compte. Je vous en remercie.
C’est dans le presque impossible que doit s’aventurer celui dont l’insatisfaction est native et qui souhaite forcer les serrures de l’invisible pour en explorer les dangereuses contrées. Le jeu n’est pas sans risque.
Où qu’on aille les morts sont protégés par des gardiens féroces. On ne peut pas les amadouer mais on peut les endormir. Il faut se présenter à eux dans l’innocence, dans une pureté dont, pour en être garant, ils gardent une trace confuse. Ils y sont sensibles et, dès lors, il faut savoir les troubler de philtres pour endormir leur méfiance. A ce jeu, les magiciennes sont expertes. Véronique PASTOR a ce pouvoir.
Les âmes ne seraient-elles que les esprits des morts ? Portent-elles les regrets d’une vie antérieure ? Souhaitent-elles y revenir ? Elles qui sont sans force et attendent la main secourable d’un passeur pour entrevoir à nouveau leur monde perdu.
Véronique les prend dans les fils comme l’araignée tisse sa toile car les araignées et les peintres ont leurs toiles.
Elle les enroule dans le cocon de soie de ses traits, les fait disparaître dans le brouillard de ses lignes.
Elle trouble ainsi la vue des gardiens dans les gestes de l’hypnose. Elle annule la raison. De cet embrouillamini surgissent les formes qu’elle libère.
Elles sont indécises comme le souvenir qu’elles ont d’elles-mêmes. Mais elles sont là. Elles renaissent. Elles émergent. A jamais nébuleuses mais présentes telles que la Vierge apparaît à celui qui l’attend.
Il n’est pas question pour Véronique de façonner la créature dans l’argile, avec des gestes de potier, non, elle doit se montrer plus subtile, ne pas oublier qu’elles sont immatérielles.
Sa main les suggère et nous, les spectateurs, sommes contents de retrouver ceux et celles que nous avions perdus.
Impalpables, bien sûr. Elles sont un souffle, une ombre, mais leur fréquentation est douce comme un rayon de lune dans le jardin et les voir rend plus léger. Un peu d’évanescence ne saurait nuire. Elles sont ce vers quoi nous allons.
Il est difficile de les faire échapper au divin, les fantômes portent en eux l’adoration que fait naître la crainte et, pour nous rassurer, Véronique Pastor nous rappelle l’apparence qu’elles revêtaient autrefois quand elles étaient de ce côté-ci du monde.
Elle nous découvre les structures presque osseuses qui les constituaient, leur squelette en quelque sorte, que le pinceau ou le crayon traduit par des traits larges et épais.
Mais leur matérialité paradoxale a tôt fait de s’enfuir. La terre la boit et Véronique capte la disparition de leurs corps dans des contours célestes.
Libres de pesanteur, c’est là que l’éternité les attend pour y traîner un regret sans fin à moins qu’une main bienfaisante et ailée leu rapporte le secours d’une nouvelle apparence.