L'article 238 bis AB du CGI institue une déduction spéciale en faveur des entreprises qui achètent des œuvres originales d'artistes vivants pour les exposer au public ainsi que des instruments de musique destinés à être prêtés aux artistes-interprètes.
Ces entreprises peuvent, dans certaines conditions, déduire de manière extra-comptable une somme correspondant au prix d'acquisition selon des modalités et dans des limites exposées ci-après.
Le régime de l'article 238 bis AB du CGI concerne les sociétés soumises, de plein droit ou sur option, à l'impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun ainsi que celles qui relèvent du régime fiscal des sociétés de personnes, quelle que soit la nature de l'activité professionnelle de l'entreprise.
En effet, la déduction spéciale instituée par l'article 238 bis AB du CGI est subordonnée notamment à l'inscription d'une somme équivalente à un compte de réserve spéciale au passif du bilan de l'entreprise (cf. II-A-2 § 120).
Or, en pratique, cette condition a pour effet d'exclure du bénéfice de la mesure les entreprises qui, sur le plan juridique, n'ont pas la faculté de créer au passif de leur bilan un compte de cette nature.
Les entreprises soumises à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC) sont donc exclues de ce dispositif (RM Foulon n° 36875, JOAN du 10mars 2015, p. 1719).
L'entreprise doit exposer au public l'œuvre d'art qu'elle a acquise.
La déduction spéciale autorisée par l'article238 bis AB du CGI est subordonnée à la condition essentielle de l'exposition de l'œuvre, à titre gratuit, dans un lieu accessible au public ou aux salariés, à l'exception de leurs bureaux.
L’exposition de l’œuvre, qui est la contrepartie essentielle et obligatoire de l’avantage fiscal accordé à l’entreprise par la collectivité, peut être réalisée:
- dans les locaux de l’entreprise ou lors de manifestations organisées par elle ou par un tiers (un musée, une collectivité territoriale ou un établissement public auquel le bien aura été confié).
Dans ce cas, le bien doit être situé dans un lieu effectivement accessible au public ou aux salariés, à l'exception de leurs bureaux.
L’œuvre ne doit donc pas être placée dans un local réservé à une personne ou à un groupe restreint de personnes.
Tel serait le cas notamment si le bien était situé dans un bureau personnel, dans une résidence personnelle ou si le lieu d'exposition était réservé aux seuls clients de l'entreprise.
Une entreprise qui exposerait l’œuvre dans un lieu accessible aux seuls clients de l'entreprise et également au profit d'un public plus large, à l'occasion d'une manifestation annuelle ponctuelle, ne pourrait bénéficier de la déduction fiscale susvisée dans la mesure où l’œuvre n'est exposée que ponctuellement au profit d'un public plus large, et non pendant toute la période de cinq ans ;
- dans un musée auquel le bien est mis en dépôt ;
- par une région, un département, une commune ou un de leurs établissements publics ou un établissement public à caractère scientifique, culturel ou professionnel.
Quelles que soient les modalités d’exposition au public adoptées par l’entreprise, le public doit être informé du lieu d’exposition et de sa possibilité d’accès au bien.
L’entreprise doit donc communiquer l’information appropriée au public, par des indications attractives sur le lieu même de l’exposition et par tous moyens promotionnels adaptés à l’importance de l’ œuvre.
Par ailleurs, la rédaction de l’article238 bis AB du CGI, prévoit expressément que la durée d’exposition de l’ œuvre doit être égale à la période correspondant à l’exercice d’acquisition et aux quatre années suivantes.
Conformément au 1er alinéa de l'article238 bis AB du CGI, seules sont susceptibles d'ouvrir droit à déduction les sommes correspondant au prix d'acquisition d'œuvres originales d'artistes vivants.
Sont également admises en déduction dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article238 bis AB du CGI,les sommes correspondant au prix d'acquisition d'instruments de musique.
Les œuvres concernées sont celles qui sont définies à l'article98 A de l'annexe III au CGI. Il s'agit :
- des tableaux, peintures, dessins, aquarelles,gouaches, pastels, monotypes, entièrement exécutés de la main de l'artiste ;
- des gravures, estampes et lithographies, tirées en nombre limité directement de planches entièrement exécutées à la main par l'artiste, quelle que soit la matière employée ;
- des productions en toutes matières de l'art statuaire ou de la sculpture et assemblages, dès lors que ces productions et assemblages sont exécutés entièrement de la main de l'artiste, à l'exclusion des articles de bijouterie, d'orfèvrerie et de joaillerie ;
- des fontes de sculpture à tirage limité à huit exemplaires et contrôlé par l'artiste ou ses ayants-droit ;
- des tapisseries tissées entièrement à la main,sur métier de haute ou de basse lisse, ou exécutées à l'aiguille,d'après maquettes ou cartons d'artistes, et dont le tirage, limité à huit exemplaires, est contrôlé par l'artiste ou ses ayants droit;
- des exemplaires uniques de céramique, entièrement exécutés de la main de l'artiste et signés par lui ;
- des émaux sur cuivre, entièrement exécutés à la main, dans la limite de huit exemplaires numérotés et comportant la signature de l'artiste, à l'exclusion des articles de bijouterie,d'orfèvrerie et de joaillerie.
Les productions artisanales ou de série ainsi que les œuvres exécutées par des moyens mécaniques ou photo mécaniques ne constituent pas des œuvres originales.
L'artiste doit être vivant au moment de l'achat de l'œuvre.
À cet égard, l'entreprise doit s'assurer et, le cas échéant, justifier de l'existence de l'artiste à la date d'acquisition de l'œuvre.
La base de la déduction est constituée par le prix de revient de l'œuvre ou de l'instrument de musique. En pratique,elle correspond à la valeur d'origine c'est-à-dire son prix d'achat augmenté des frais accessoires éventuels et diminué le cas échéant de la taxe sur la valeur ajoutée récupérable. Les frais supportés lors de l'acquisition, qui ne sont pas inclus dans son prix de revient (notamment les commissions versées aux intermédiaires),sont exclus de la base de la déduction ;ils sont immédiatement déductibles.
Les sommes relatives aux acquisitions d'œuvres originales d’artistes vivants ou d'instruments de musique sont déductibles dans la limite de 5 ‰ du chiffre d’affaires,diminuée des versements effectués en application de l’article238 bis du CGI. Lorsque la fraction du prix d’acquisition ne peut être totalement déduite au titre d’une année, l’excédent non utilisé ne peut être reporté pour être déduit au titre d’une année ultérieure.
Exemple :
L’entreprise A a réalisé au cours de l’exercice N un chiffre d’affaires de 1 M€. Par ailleurs,elle a effectué au cours du même exercice des dons aux œuvres pour un montant de4.000 € et a acquis une œuvre d’artiste vivant pour un montant de 20.000 €.
La limite globale de prise en compte des versements est de : 1 M€ x 5 ‰ = 5.000 €.
Les versements effectués au titre de l’article238 bis du CGI étant de 4.000 €, l’entreprise A ne peut plus déduire au titre de l’article238 bis AB du CGI que 1.000 € (5.000 € – 4.000 €)alors qu’elle aurait pu, en l’absence de plafond global,déduire20.000 € / 5 = 4.000 €. Le montant n’ayant pu être déduit au cours de l’exercice 2003 (4.000 € - 1.000 €, soit3.000 €) ne peut être reporté. Il est définitivement perdu.
Le cinquième alinéa de l'article238 bis AB du CGI prévoit que les sommes inscrites à la réserve spéciale qui correspondent aux déductions pratiquées, sont immédiatement réintégrées de façon extra-comptable dans les bénéfices imposables au taux de droit commun en cas de changement d'affectation ou de cession de l'œuvre ou de l'instrument, ou de prélèvement sur le compte de réserve.
Il convient d'entendre par changement d'affectation le fait de cesser d'exposer l'œuvre au public (sur ce point, cf.II-A-1§ 80 et suivants).
Il s'agit de toute opération ayant pour effet de faire sortir le bien de l'actif immobilisé(vente du bien ou opérations assimilées).
Dans ce cas, le cessionnaire peut bénéficier des dispositions de l'article238 bis AB du CGI si l'artiste est vivant au moment de l'opération et s'il satisfait par ailleurs à l'ensemble des conditions prévues à cet article.
Le prélèvement de tout ou partie des sommes affectées au compte de réserve spéciale entraîne une réintégration des sommes prélevées dans les bénéfices imposables au taux de droit commun.
La loin° 2003-709 du 1er août2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations a étendu le bénéfice du dispositif présenté supra aux entreprises qui achètent des instruments de musique et s’engagent à les prêter à titre gratuit aux artistes-interprètes qui en font la demande.
Tous les instruments de musique sont susceptibles d’être concernés par le dispositif.
Sont considérés comme artistes-interprètes :
- les personnes qui suivent une formation musicale dans un établissement ou une école visée ci-après ou qui ont une qualification musicale d’un diplôme correspondant à un cycle 3 de conservatoire national de région ou d’école nationale de musique ou d’un équivalent européen. Les étudiants et anciens étudiants des conservatoires nationaux supérieurs de musique de Paris et de Lyon sont réputés remplir ces conditions de niveau ;
- les personnes qui exercent, à titre professionnel, une activité d’artiste-interprète.
Pour bénéficier de la déduction prévue àl’article238 bis AB du CGI, l’entreprise doit s’engager à prêter l’instrument de musique à titre gratuit aux artistes-interprètes qui en font la demande.
L’entreprise doit pouvoir justifier cet engagement notamment en démontrant qu’elle a procédé à la publicité de son offre de prêt auprès du public potentiellement concerné.
L’entreprise doit également pouvoir justifier que les instruments prêtés l’ont été à des artistes -interprètes ayant le niveau requis (cf. I-B-3-b§ 70).