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Héloïse  hu - tome un "les anté

EXTRAITS

   "C'est à ce moment de la narration qu’Héloïse bouleversée choisit de l'interrompre,

«Tu veux dire que Mamie a passé la nuit chez toi ? Dans ton gourbi !»

    Jusqu'à cet instant le souvenir de Christine avait illuminé ses terres aqueuses ; maintenant, le terreux pataugeait dans les ornières bourbeuses de ses confidences où se seraient enlisées la beauté de l'une et la misère affective de l'autre. Oui, elle avait pénétré dans sa chambre au petit matin divinement nue pour le convaincre de l'aider. Il dit l'avoir aimée délicatement comme un cannamelliste lorsqu'il exécute ses ouvrages de sucre, et jusqu'à son départ, il aurait tutoyé le ciel persuadé d'avoir caressé un ange.

    Héloïse compris à la fin du récit que le terreux était un penseur, un érudit ; l'antithèse de la pauvreté parce que possédant la noblesse de l'intelligence et de la culture. De fait, son logement qu'elle avait injustement imaginé comme une tanière avait recelé des centaines de livres écrits par les plus grands lettrés de l'antiquité et des temps modernes ; ouvrages souvent vieillis que Christine avait pu respirer et effleurer, recueils anthologiques, florilèges de textes d'abord lus et murmurés à lui même, puis racontés à voix haute, le plus souvent à sa solitude avant qu'elle ne dévoile ses obscurités menaçantes, ou tendrement à l'attention d'une compagne imaginaire. Chaque soir jusqu'à une heure tardive, sa voix chaude et grave résonnait jusque sur le palier.

  Au sein de son cimetière, creusant la terre, il transformait les odorants cyprès, pourtant incorruptibles, en lauriers afin d'y voir surgir dans leur duramen, Daphné métamorphosée pour la soustraite aux avances d'Apollon qui en fit son arbre sacré. Rêvait il qu'une fois libérée, elle consentirait à l'aimer, lui, dans sa gueuserie, mais le seul à avoir perçu battre le cœur de la nymphe? Ou bien rêvait il qu'un jour, un cyprès, torche noire hiératique, inclinerait ses rameaux, agiterait doucement sa cime en signe d’acquiescement pour l'autoriser à porter, lui, une couronne de lauriers ?

   Le terreux souffrait de son érudition. Érudition méprisée par tous : plongé dans la détresse de sa médiocrité sociale, ostracisé, il ne pouvait que bafouiller en s'exprimant, lorsque la terre glaiseuse le saisissait par les pieds dans le fatras pelletèque des mises en bière. Érudition ignorée : griffant la terre en grec des plus belles citations d'Hippocrate ou d'Homère, immédiatement effacées par ses compagnons d'ouvrages grommelant sur un ratissage à refaire. Mais une érudition révélée à Christine : sortie de son pataugis, rendue éclatante face au miracle de cette étreinte improbable durant laquelle il n'avait pas cessé de lui murmurer le nom des mondes ensevelis, sublimée par le mouvement tant rêvé de ce corps enfin soumis qu'il avait emporté, ailleurs, dans une dérive féconde. Avec ses mains caleuses, il lui avait doré ses forêts afin qu'elle n'ait plus peur du noir, dessiné sur sa peau des métatron, pentagram et fleurs de vie pour la relier au cosmos. Comme un maître céleste, il lui avait fait cadeau d'un petit supplément d'âme et de perceptions neuves.

    Au petit matin, comme frappée d'immanence, Christine lui aurait enjoint de faire reposer le corps de sa fillette avec ceux des autres enfants, dans la fosse commune. Il ne la revit jamais mais dit l'avoir rêvée toutes les nuits.







saga :  héloÏse  hu - TOME DEUX EN PRÉPARATION