»  »  »  »  »



MARTINE GASNIER

Martine Gasnier,écrivain, critique d'art - Directeur de l’office départemental de la culture de l’Orne jusqu'en 2015. 

"Bien sûr, il y a encore et toujours les bistrots parce que le peintre nourrit une tendresse, jamais démentie, pour ces derniers endroits de convivialité où les êtres échappent, le temps d'un verre, à leur solitude.

Il y eut d'abord les hommes, plongés dans d'abyssales réflexions ou engagés dans des conversations où les lieux communs sont érigés en vérité philosophique.

Puis les femmes entrèrent et s’installèrent, elles aussi, au comptoir, affichant une belle effronterie et composant de nouveaux groupes dont la liberté de ton a fini par triompher des préjugés.

Entrer au bistrot comme l'une des revendications féministes, voilà qui donne à l'artiste matière à nous livrer des toiles réjouissantes aux personnages hauts en couleurs. Elles se prénomment Paulette ou Denise, pas Marie-Aude ou Paule.

C'est qu'Alain Ponçon puise son inspiration dans la vie ordinaire. Les scènes qu'il donne à voir nous sont connues et l'héroïsme en est banni ; la « photo de vacances » nous renvoie à des souvenirs personnels et «Vendredi Thalassa » aussi.

Il y a dans ce couple assis, l'un contre l'autre, sur un canapé, les yeux fixés sur l'écran de télévision que l'on devine quelque chose de ce qu'il faut bien appeler de la banalité, sauf que là, sous le pinceau démiurge, l'instant devient solennel, ces deux-là sont partis en voyage pour des pays lointains. Laissons les tranquilles.

Il arrive que le cours de l'existence paisible qui habite l’oeuvre du peintre soit quelque peu bousculée et en révèle une face plus sombre. À cet égard,deux toiles nous semblent emblématiques. D'abord « la mariée » :longue silhouette qui fuit, tenant à la main un bouquet dérisoireet poursuivie par une meute d'hommes en noir aux figures peu amènes,voire abruties.Auquel d'entre eux l'épousée tente-t-elle d'échapper? à tous peut-être et on la comprend.

Nous reviennent en mémoire de bien terribles histoires où l'on sacrifiait les jeunes filles sur l'autel du mariage pour satisfaire à des intérêts peu avouables. Celle-là sera peut-être sauvée mais l'image demeure terrible et nous murmure que l'amour est ailleurs …

Il y a aussi « Deux hommes, une femme » qui vont par un chemin vers leur destin. Ils portent sur leurs traits quelque chose de définitif, de pire que le mal de vivre, une sorte d'épuisement à tenter d'être, sans rémission possible. C'est la résignation des gens simples.

Alors comme un exorcisme à trop de drame, l'artiste retrouve, pour nous l'offrir, le bonheur de peindre des couples amoureux et des mariés heureux, si émouvants dans leur simplicité et leur évidence d'être au monde.

Alain Ponçon ne nous parle que d'humanité, il a emprunté une voie singulière à une époque où l'on se gargarise volontiers de propos abscons sur l'art.

Il est le digne héritier d'une tradition picturale qui procure de l'émotion. C'est assez rare pour être souligné.

Martine Gasnier Mars2017"

michel mortier

Michel Mortier - Maître de Conférences honoraire, historien, critique d'art, musicien. Correspondance - 2015

Parmi les artistes  à inscrire au tableau d'honneur de la peinture, il y a les très grands visionnaires, mais aussi  ceux qui, tout en restant fidèles à leur nature et à leur marque stylistique, sont capables d' évoluer en reflétant les problèmes de notre monde.

 Alain Ponçon est de ceux-là : si, dans sa jeunesse, le réalisme ne lui était pas étranger, il a opté pour une manière plus conforme à ses données propres qui le rattache à l' art singulier, ce qui ne veut pas dire naïf pour autant.

Derrière l' apparence parfois trompeuse de scènes souriantes et d'un coloris aux  vivacités crues , il présente l' individu ou le couple  dans un cadre essentiellement familier où l' on peut certes retrouver le plaisir du quotidien, mais où  l'on perçoit souvent l' angoisse voire le tragique de situations  domestiques à l' image de notre condition humaine.

Un premier degré de son évolution fut, il y a quelques années déjà,  le recours à quelque  grand mythe dont le personnage de Don Quichotte fut l'éminent représentant.

Désormais, la palette vibre davantage, refuse les à-plats,  le cadre s'élargit, devient témoin de notre monde contemporain : l' individu peut être livré à  la multitude, comme le montre l' accumulation de têtes sans corps.

Il est également perdu dans des espaces urbains ou naturels  riches de signes parfois imperceptibles et contradictoires, ceux de la  profusion technologique et du dénuement spirituel qui nous accablent  et risquent de nous faire basculer dans un monde déshumanisé où la solitude est un thème majeur qui pose le problème de notre existence même.



JEAN PIERRE JACQUET

Jean-Pierre Jacquet Commissaire au Conseil Supérieur des Musées Francophones de Belgique - Texte de la présentation de l'exposition du château de Chasselas

C'est celui qui écrit de la plus «primordiale» façon.

Avec une écriture venue immédiatement du fond des âges des hommes, avec des messages ancestraux qui ont une puissance indicible tant par leurs couleurs que les formes encore en pleine ébauche. Qui pourrait ne pas voir là des figures de Cao au Portugal, ou de celles du Tassili, ou des glyphes de Mésoamérique ...
Celles des abris ou des grottes, celles des mains projetées, des chamans et des chasseurs. Celles des premiers signes pas encore abstraits, mais si clairement ôtés du concret ordinaire pour faire langage !  Échange de paroles implicites et de suggestions liminales.


Ses personnages ébauchés mais vivant, éclatant de vie, renvoient sans le moindre doute aux ancêtres, les premiers Sapiens, les premiers à avoir la conscience de leur humanité, les premiers à avoir communiqué par la forme la plus essentielle de l'écrit, celle qui a précédé toutes les autres, celle qui, les mettant personnellement en scène, les engageait sans doute le plus loin dans la communication d'eux-mêmes, celle qui leur donnait le pouvoir tant sur eux-mêmes que sur les autres formes de vie.


Le premier pouvoir essentiel est donné là : l'homme prend la parole par son signe d'écriture le plus fondamental, lui-même.
Alain Ponçon ne se limite pas à cette écriture-là, non !


Regardez aussi ses cerfs-volants, autre langage, autre écriture bien sûr. Car ces cerfs-volants eux aussi sont des écritures, des signes de langage, des messages adressés au loin, au ciel peut-être, aux autres hommes qui vivent sous des ciels d'ailleurs. Les cerfs-volants d'Alain Ponçon ont ceci de particulier qu'ils sont eux aussi des figures d'hommes, qu'ils donnent eux aussi l'homme lui-même comme porteur du message.

L'homme une fois encore ôté du concret pour donner le sens, la direction de l'abstraction.
L'homme est le message, l'homme est l'écriture, l'homme se dit lui-même comme au premier temps.